Philosophie chez les Syriens

Philosophie chez les Syriens
Philosophie chez les Syriens
    Entre l’époque où l’Orient monophysite se détacha du reste de la chrétienté et celle où commença, dans les mêmes pays, la civilisation de langue arabe, se développe un mouvement philosophique, d’ailleurs peu original, et très distinct de celui de l’Occident, sur lequel il devait pourtant avoir une influence considérable. Les derniers platoniciens païens, dont plusieurs étaient originaires de Syrie, avaient introduit dans l’enseignement le commentaire des œuvres d’Aristote et principalement des œuvres logiques ou Organon : les chrétiens de langue grecque les imitèrent d’ailleurs et il y eut, après Jean Philopon, quelques commentateurs byzantins comme David et Elias ; mais cette activité se ralentit de bonne heure, et elle ne reprit, et très sporadiquement, que beaucoup plus tard, par exemple avec Michel d’Éphèse, au XIe siècle. En revanche, l’étude d’Aristote continua aux VIIe et VIIIe siècles dans les monastères orientaux ; on fit des traductions en syriaque de beaucoup d’œuvres d’Aristote ; comme c’est par leur intermédiaire qu’Aristote fut connu des Arabes et devint chez eux le Philosophe, comme c’est par l’influence arabe que fut réintroduite au XIIIe siècle en Occident l’étude d’Aristote, on voit l’importance historique qu’ont eue les travaux de ces moines orientaux, sans lesquels Aristote, formateur de l’esprit scolastique, n’aurait sans doute jamais été un éducateur de l’Occident.
    Peut-être y avait-il une affinité entre le nestorianisme et l’aristotélisme. Théodore de Mopsuète avait commenté Aristote ; Ibas, évêque d’Édesse, après Rabbula, ainsi que deux autres membres de l’école d’Édesse, sont cités dès le Ve siècle comme ayant traduit en syriaque Aristote et son commentateur. Puis, Sergius de Reschaïna, vers la fin du même siècle, traduisit en syriaque, outre les œuvres médicales de Galien et celles de Denys l’Aréopagite, l’Isagoge de Porphyre, les Catégories d’Aristote, le pseudo-De Mundo, et un traité De l’Ame. Il était lui-même l’auteur de traités sur la logique, sur les causes de l’univers d’après les principes d’Aristote, sur le genre, l’espèce et l’individu, sur l’affirmation et la négation, sur le prologue du De Interpretatione. Au VIIe siècle, au monastère de Kennesre, sur l’Euphrate, Severus Sebokt écrit un commentaire sur les Analytiques et sur le De Interpretatione ; Athanase en 645 traduit l’Isagoge ; un peu plus tard, Georgius traduit l’Organon tout entier, et Jacques d’Édesse, les Catégories.
    Il ne faudrait pas surestimer ce mouvement d’idées : plus près des textes et mieux informés que leurs contemporains occidentaux, ils travaillent pourtant dans le même esprit ; seule, comme saint Jean Damascène, les intéresse la logique d’Aristote, et, dans cette logique, on leur interdit d’aller au-delà de ce qui est indispensable pour soutenir la foi ; en fait, à l’exception de Georgius, on ne voit pas que les traducteurs syriens aillent plus loin que l’exposé des trois figures du syllogisme composé de propositions portant sur le réel, c’est-à-dire jusqu’au viie chapitre du premier livre des Premiers Analytiques ; ils ignorent, tout comme en Occident, et le mécanisme compliqué des propositions modales et surtout les théories de la définition et de la démonstration des Seconds Analytiques. Ce n’est que plus tard, aux IXe et Xe siècles, avec la civilisation arabe, que nous verrons les traducteurs syriaques et arabes s’attaquer à l’œuvre presque entière d’Aristote. Pourtant, il est possible que, dès ce moment, se prépare, en Orient, l’interprétation néoplatonicienne de la pensée d’Aristote, qui sera caractéristique de la philosophie arabe. La langue syriaque n’avait pas jusqu’alors de vocabulaire philosophique répondant à celui du grec ; d’autre part, les mots de la langue d’Aristote étaient employés couramment par les néoplatoniciens grecs dans un sens nouveau ; le mot νους, Intelligence, signifie couramment chez eux une hypostase divine et non plus une faculté de l’âme humaine ; le mot ειδος désigne non seulement la forme immanente aux choses, mais l’Idée transcendante ; le mot λογος, le Verbe, plus que la raison humaine. Il était sans doute inévitable que, dans le milieu syrien pénétré de néoplatonisme, les mots syriaques prissent quelque chose de la nuance qu’ils avaient dans le néoplatonisme : l’on en verra plus loin la conséquence.

Philosophie du Moyen Age. . 1949.

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